Carnet de voyage
Traversée de la Corse en groupe, avec Stéphane Martineau de Via-camina.fr
Partir 12 jours pour une randonnée réputée difficile, sans entraînement et avec des inconnus paraît une gageure! Et pourtant...
Nous avons reçu une lettre de Stéphane, détaillée et humoristique. Puis j'ai entendu sa voix sur le répondeur : précise, sérieuse, chaude et belle.
Va pour la première réunion à l'auberge de jeunesse: rapide pais suivie d'un repas dans une pizzeria, au cours duquel je rencontre Stéphane, Dominique et Gilles, trois des sept randonneurs prévus, et non des moindres puisque Stéphane Martineau est l'organisateur (Via-camina), Gilles sera l'économe et Dominique est une fidèle de la randonnée avec Stéphane. Presque toute l'équipe quoi! Il manque Yves, un médecin, et son fils Thibaud de 10 ans. Sa future participation à la rando me rassure. Je crois que je peux faire ce que fait un enfant de dix ans. Manque aussi Rolande, une ancienne collègue et amis à laquelle j'ai proposé cette rando et qui a accepté avec enthousiasme. Elle ignore, comme moi, tout de la randonnée: ça fera donc un groupe hétérogène, mais tant pis je suis, quant à moi, décidée à partir.
Au cours de ce dîner, très simple et facile, il m'a semblé que nous pourrions nous entendre.
Dominique est élégante, femme du monde; elle s'exprime bien et sourit de façon charmante; Gilles ressemble à Anthony Perkins tracassé malgré ses convictions de jeune enseignant dévoué. Et Stéphane m'enchante par sa jeunesse et son sérieux conjugué.
2ème réunion de préparation: c'est un dîner chez Gilles. j'y croise Yves le médecin: corpulence de bon vivant. Quelques mots, il s'en va. je retrouve Stéphane et Domi. Rolande est déjà arrivée. Elle a l'air ravie. Gilles a préparé le repas, délicieux: pois chiches, puis poulet émincé aux petits légumes. C'est lui qui sera responsable de nos estomacs pendant la rando. D'ailleurs, il a réparti dans nos sacs divers paquets de riz, pil-pil, chinoiseries... Stéphane vérifie le contenu des sacs. Les dernières questions matérielles sont réglées (grande tente de Yves à essayer...), derniers conseils donnés pour s'entraîner avant le départ et voilà...
1er jour. Les sept compagnons sont à l'heure. Les sacs sont bourrés. Le petit Thibaud a l'air bien doux, un peu apeuré devant son papa dont la langue verte et les calembours bousculent parfois. Moi, j'ai du mal à comprendre! Le voyage en train soude l'équipe. Arrivée à Marseille. Nous prenons le métro jusqu'à la Joliette. Stéphane vérifie les billets, les horaires, tout quoi! Puis nous trouvons un petit bistrot dont le patron est aveyronnais je crois. Mais erreur, Stéphane s'était amusé de constater que le bistrot s'appelait Le Breton et que le patron venait de l'Aude! En tous cas il nous sert de vraies frites. Nous sommes tous heureux de partir, je le vois sur les visages. Quelques inquiétudes doivent subsister...
Nous embarquons sur le ferry Danielle Casanova. Ce n'est ni un séducteur, ni même un homme: c'est une militante corse anti-fasciste! Le ferry est grand: vaste salon où s'alignent des fauteuils. Ca promet une sale nuit. Yves, Thibaud et Stéphane vont dormir sur le pont à la belle étoile. Rolande va les rejoindre. Je reste dans le salon. Gilles et Domi sont allés voir un film. J'ai préféré regarder le bateau et les passagers. Voilà, rien de mémorable, sauf que la nuit tarde à finir. Mais c'est déjà demain et Ajaccio apparaît...
2ème jour. C'est la première fois que je viens en Corse. Baie magnifique. Sur la gauche du ferry, Les Sanguinaires. Devant nous, des façades de couleurs claires à 4-5 étages pas plus, bordent la mer. Des palmiers superbes. Nous suivons, du haut de la passerelle, l'arrivée du pilote, son embarquement pas l'échelle de corde. Vois forte "pilote à bord". Thibaud regarde de tous ses yeux. Yves connaît la Corse; il me raconte ses parents, la guerre, son service militaire... Le danielle Casanova aborde. Nous avons du temps car nous quitterons Ajaccio qu'à 15h30. Journée riche en découvertes. Une chance : l'avocat Mariaggi (?), un vieil ami d'Yves. Nous buvons un coup en sa compagnie : puissante carrure, à l'égal de son énorme cigare qui empeste le nez fin de Domi ! Serait-il goujat? En tous cas il nous accueille tous, nos sacs à dos dans l'un de ses bureaux situé à deux pas du quai. Et nous voilà légers pour visiter d'abord, renommée oblige, la maison de Napoléon. Thibaud et moi faisons ça avec application mais il n'y tout de même pas grand chose à voir. Pas un seul portarit du mince Bonaparte au profil aigu comme je l'aime. Rien que le gras napoléon couronné. Mais la couronne est là, plus quelques pistolets... une jolie banquette, un parquet conservé au 1er...
C'est l'heure d'aller chercher les sacs. Un petit car va nous conduire à Guagno, point de départ choisi par Stéphane. Guagno n'est pas sur le GR20 mais sur une transversale mare a mare. Stéphane me montre la carte : j'aime ça. Somnolence dans le car: c'est l'heure de la sieste... mais c'est bon de voir la route s'élever en laçets, de renifler les odeurs changeantes, de voir les eucalyptus puis les hêtres remplacer les pins et les palmiers du bord de mer: c'est sûr, cette fois nous allons mettre le pied sur les montagnes.
Guagno: village en pente; au refuge, tout près de la mairie où se prépare un mariage, nous allons remplir nos gourdes. Stéphane a décidé de marcher tout de suite et d'avancer sur l'itinéraire du lendemain. Guagno est à 600 m d'altitude et Rolande va sentir très vite les difficultés de la montée ! On démarre au bord d'une rivière, le sol est tendre, on va pouvoir monter les tentes et bivouaquer. On a pas beaucoup avancé mais on est sur la bonne voie!
Première toilette dans la rivière, premier repas. Enfin Gilles va ouvrir le carton qu'il porte depuis le départ avec un soin qui nous fait nous lécher les babines. Il a promis une surprise: en effet il sort du carton une grosse tourte aux épinards, lardons et fromage! Il y a aussi dans la boîte le petit déjeuner du lendemain et deux bouteilles de vin auxquelles nous ne touchons pas car nous avons aussi un petit bidon de 5 l... Mais qui l'a apporté!... Yves bien sûr! Je suis contente, dans une confiance si grande qu'il y a bien longtemps que je n'en ai éprouvé de pareille. Je suivrai Stéphane sans hésiter un seul instant; les autres sont-ils dans le même état d'esprit ? Dormons car demain sera rude: deux belles montées en perspective. Encore une remarque : c'est bien ce vendredi soir 4 juillet que pour la première fois nous avons rencontré les cochons sauvages! Il y en a de toutes les couleurs et toutes les tailles: les petits sont acceptables mais je déteste les gros, le les trouve laids et mal fichus; ce sont des cochons avec des pelages de chèvres et avec Gilles on essaie de forger un vocable qui leur convienne "caprasus". Ca ne vaudra rien. on garde cochon. Plus tard dans la randonnée il m'arrivera de me demander très sincèrement à quoi peuvent bien servir tous ces cochons en liberté. Je suis complètement fada et pourrai passer pour une demeurée!! incapable de mettre en relation le délicieux saucisson que nous savourons quasiment à chaque étape et les flopées de cochons qui détalent à notre approche... Je vis dans un monde magique où peut-être tout peut arriver.
3ème jour:
Stéphane m'a confié son carnet de route pour que je puisse plus facilement mettre en place le récit. J'ai sous les yeux le graphique de notre journée : une première pointe culmine à 1195 m à la Bocca Misciglietta puis après une descente à Patricciola, nous retrouvons une oblique ascendante vers la Bocca d'Oreccia à 1460 m. Voilà un dénivelé de 850 m. A le voir sur le carnet, Rolande peut-être frémirait-elle... mais un schéma est encore, aussi impressionnant soit-il, bien loin de la réalité.
Ce qui marque à mes yeux cette première journée de rando ce sera la découverte du réel : on monte, on monte longtemps, ça tire sur les épaules, le souffle ne parvient pas à se discipliner... Et pourtant le sac pesant de Stéphane semble léger sur sa mince carrure qui demeure droite et aérienne. Alors c'est que tout peut s'apprendre; il n'est peut-être pas trop tard, malgré les années accumulées dans les incertitudes, les craintes, les cigarettes, les échecs. Courage Rolande, courage nous tous...
Bon, on monte donc, notre ventre a été bien calé par le gâteau sucré préparé par Gilles et qui a accompagné notre thé matinal. Nous prenons le temps de nous détendre et tremper les pieds. La rivière est large, semée de gros galets entre lesquels nous pataugeons. Il fait beau. Après le café ou le thé, nous commençons l'ascension; Stéphane a prévu 3h30 jusqu'au refuge de l'Onda où nous devons dormir. Mais les choses vont se passer autrement. Les 860 m de dénivelé à monter sont éprouvants pour tous et en particulier pour Rol. Les bâtons que Stef a eu la précaution d'emmener la soutiennent insufisamment. Pourtant cette montée dans le sous-bois va nous offrir une belle récolte de girolles. Stéphane, Yves, Thibaud et moi tombons devant des parterres de champignons. Et ils nous font avaler la côte dans l'émerveillement de la trouvaille. Nous voilà avec un plein sac de girolles. Il s'ajoute au sac poubelle qui pend à mon sac à dos et qui pendra dorénavant tous les jours. Encore une chose que j'apprends, on ne laisse rien traîner!
Stéphane prend une décision importante: il va partir seul devant pour trouver un lieu de bivouac, puis il reviendra prendre le sac de Rolande qui véritablement souffre. Stéphane a disparu devant nous. Nous continuons dans le sous-bois qui me paraît grisâtre. Je n'aime pas l'absence de Stéphane. Elle ne dure pas, il apparait, léger: il a trouvé une bergerie qui nous abritera. Tout va aller bien dorénavant. Il y a deux bergeries, l'une pour dormir, l'autre pour cuisiner et manger. Nous allons à la rivière la ver les champignons et nous-mêmes. Paysages montagneux et sauvages. Très verdoyants. Le soir tombe. les girolles mijotent dans la poêle bien culottée de suie. Le parfum de l'ail que Gilles a apporté se mêle à celuide l'huile d'olive et des champignons frais. On dîne tous ensemble. Les douleurs hysiques s'envolent. Le feu crépite et on est heureux. On aimerait s'étendre là et y rester. Je n'ai déjà plus envie de redescendre et nous sommes que le 5. Qu'en sera-t-il quand nous serons le 13 ? Chacun change de bergerie pour dormir. On se coule dans son duvet. Je n'ai pas sommeil : je peux accuser les ronflements d'Yves, la nullité de mes boules Quies. En fait ce sont des prétextes. J'emporte mon matelas mousse et mon duvet ! Je retourne dans la première bergerie, celle où nous avons dîné. Le ciel est bondé d'étoiles très lumineuses. Odeurs, bruits de la rivière, fraîcheur de l'air. Je dormirai seule cette nuit. J'ai trop plein de chose dans la tête.
A suivre...
Babeth.